La nostalgie heureuse, Amélie Nothomb. “Comme je suis dans une impasse émotionelle, je décide de partir en voyage”.


FRENCH ONLY:

Encore une bien belle couverture pour Nothomb.

Encore une bien belle couverture pour Nothomb.

J’ai toujours détesté l’été parce qu’en tant qu’ancienne résidente du Sud de la France, il y fait toujours trop chaud mais aussi parce que cela voulait dire une attente insoutenable (telle celle que l’on éprouve, enfant, à l’arrivée de Noel) avant la sortie du nouveau cru Amélie Nothomb. C’est ainsi que cette année, comme toutes les autres, j’ai attendu, bien sagement ma copie. Originalement cette fois-ci, puisque ma mamie me l’a envoyé par la Poste (puisque je réside à l’étranger), encore plus de suspens donc. Quand le précieux arrivera-t-il et que contiendra-t-il ? Car je n’aime pas lire les critiques ou autres extraits avant de m’être moi-même délectée du contenu.

Cela fait 7 ans désormais que ce rendez-vous est incontournable.

J’ai donc reçu La Nostalgie Heureuse le vendredi 30 août et voici mon opinion.

On le sait, Amélie a passé les cinq premières années de sa vie au Japon (cf Métaphysique des Tubes) et y est ensuite retournée (cf Stupeurs & Tremblements, Ni d’Eve, Ni d’Adam). Elle nous livre ici une vision un peu plus intimiste mais jamais trop personnelle de son retour au pays du Soleil Levant.

Après avoir été contactée par l’équipe de France 5 pour se rendre sur les traces de son passé (cf. documentaire Une Vie entre Deux Eaux) du 28 mars au 5 avril 2012), elle part à la redécouverte de ce pays, cher à ses yeux.

« J’ai fini par comprendre que ce qui m’avait fondé ce n’était pas le Japon, mais le manque du Japon ».

Ce qui m’a marqué, dans un premier temps, c’est le titre : la nostalgie heureuse. Loin de moi l’idée de pouvoir comprendre ce phénomène, ce concept. Comment la nostalgie d’un endroit, d’une personne peut-elle nous rendre heureux ? N’aurions–nous toujours pas, au fond, un désir irrépressible que de revivre notre passé dans les mêmes conditions qu’auparavant ? C’est justement les premières émotions que ressent Amélie narrateur, auteur et personnage avant de prendre les deux décisions importantes de ce voyage : revoir sa gouvernante, Nishio-san et son fiancé d’antan, Mizuno Rinri. Lorsqu’elle décide d’y donner suite, ce sont à la fois peur et excitation qui s’entremêlent.

Nous suivons donc ici Amélie, de retour au Japon pour ce fameux documentaire.

« Tout ce que l’on aime devient une fiction ». C’est ainsi que commence le récit, nous donnant déjà le ton doux-amer des souvenirs, de cette frustration créée par l’oubli des moments vécus & de notre incompétence à changer le passé. On retrouve cela lorsqu’elle va rendre visite à sa gouvernante, elle découvre un monde changé, partout. La maison de son enfance a été changée en appartements de haut standing, le parc où elle aimait se promener est entouré de bêton et rien ne laisse deviner son passé de jardin japonais. Tout cela est lié à l’histoire (tremblement de terre de Kobé, 1995) ou au changement de notre société.

«  Les retrouvailles sont des phénomènes si complexes qu’on ne devrait les effectuer qu’après un long apprentissage ou bien tout simplement les interdire ».

Nishio-san s’avère être plus âgée que dans les souvenirs d’Amélie, mais l’intensité de l’amour qui unit les deux femmes n’a pas changé et les retrouvailles s’avèrent chargées d’émotion.

« Il y a une heure, je pensais que les retrouvailles, ce devrait être interdit. A présent, je pense que les séparations devraient l’être également ».

Notons également l’humour dont l’auteur teint tout le roman. Comme dans la citation ci-dessus ou dans le passage suivant :

« Quand j’étais petite, j’avais le yôchien en horreur. Je ne comprenais pas au nom de quoi il me fallait quitter le jardin et les jupes de Nishio-san pour me mêler au troupeau des enfants et m’adonner en leur compagnie à des activités révoltantes, telles que chanter des chansons en cœur et jouer à des jeux abscons. En outre, j’étais l’unique non japonaise de l’établissement, ce que les autres mômes s’appliquaient à me faire sentir de cuisante manière ».

Humour donc –ce ton dégagé avec lequel elle critique les activités enfantines ou le fait de faire partie d’un documentaire- mais aussi reflet des mœurs japonaises, cette idée du gaijin 外人, de l’étranger, celui venu d’ailleurs qui n’est pas courant, un objet de curiosité donc.

L’idée du manque reste néanmoins présente : le vide laissé par des lieux gorgés de mémoire dont seules les bouches d’égout semblent inchangées, le vide laissé par celle qu’elle considère comme l’alter-ego de sa mère biologique et celui laissé par une histoire d’amour inachevée (dont elle nous a donné sa vision des faits dans Ni d’Eve Ni d’Adam) : la nostalgie (nostalgic) n’est pas à première vue, une nostalgie heureuse (natsukashii). Tout ce retour dans le passé fini donc par l’indicible : on ne peut pas raconter ses souvenirs, ses émotions de la même façon qu’on les vit, tout est peut être tangible mais l’émoi demeure.

La Nostalgie Heureuse n’est donc certainement pas un livre qui nous met de bonne humeur mais il fait du bien à lire car il rappelle ce sentiment universel que chacun éprouve lorsque l’on se rend sur les traces de notre passé,  lorsque l’on revoit nos premiers amours etc. : on ressent de la joie, de la tristesse, on fait face à l’indicible.

A la vue du magnifique Mont Everest dont elle est le témoin privilégié sur le chemin du retour elle se jure que :

“Le maximum que je t’autorise, désormais, c’est la nostalgie heureuse.”

La nostalgie heureuse? “L’instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l’emplit de douceur” qui est exprimé dans l’adjectif japonais « natsukishii ». Il semblerait donc que les japonais doivent utiliser l’anglais « nostalgic » pour parler d’une nostalgie triste et que par conséquent, ce n’est pas propre à leur culture…